L’AFRIQUE A L’AUBE D’UN NOUVEAU CYCLE GEOPOLITIQUE MONDIAL.

Par RUSINE Alexis

 

Kigali, 3 Mars 2022

 

La pandémie COVID-19 a exacerbé  les  vulnérabilités individuelles et systémiques, plus particulièrement en Afrique. Les moyens d’existence des millions de personnes ont volé en éclat, des efforts et progrès de plusieurs décennies antécédentes viennent d’être  bloqués, retardés,  voire anéantis. Certaines certitudes et fastes illusions ont basculé ! Un pas en avant, deux pas en arrière diraient plus d’un ! Dans certains contextes de crises prolongées et de fragilités (Centrafrique, Sahel, Est de la RDC,  etc.), cette pandémie s’est plutôt enchevêtrée avec d’autres crises d’ordre sécuritaires et humanitaires, …. déjà trop coûteuses et complexes.

 

Concomitamment, la scène internationale nous submerge  d’événements d’ordre géopolitique qui suscitent des questionnements sur le futur proche et lointain de la paix, de la sécurité, de l’humanitaire et du développement international. Pour ne citer que quelques-uns récents : le retrait des Etats-Unis et ses alliés de l’Afghanistan, le processus de retrait brusque et sous tension diplomatique des forces internationales Barkhane et Takuba du Mali, la résurgence des « Coups d’Etat » en Afrique; les tensions géopolitiques entre Russie et France en Centrafrique et au Mali, les tensions diplomatiques entre les Etats-Unis et la Chine et…, à la une , l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

Des crises sécuritaires localisées et difficilement endiguées surgissent ici et là, les foyers de tensions se multiplient et d’autres se métamorphosent, l’incertitude monte et les scénarios se brouillent tandis que  le système multilatéral de l’après deuxième  guerre mondiale est mis à l’épreuve. Vraisemblablement, nous sommes à l’aube d’un nouveau cycle géopolitique qui nous rappelle la chute du mur de Berlin dans  les années  90.

 

Comme dans le passé, les confrontations et chocs géopolitiques auront des impacts sur l’Afrique. Il ne faudrait  pas jouer  à l’autruche ! Le défi est de savoir décrypter les  risques spécifiques des diverses confrontations géopolitiques qui se déploient sous nos yeux et d’en saisir progressivement les configurations contextualisées : les espaces, les acteurs, les temporalités, les modalités ( la nature, dynamique et ampleur), les enjeux et les effets. Evidemment décrypter ces risques est une affaire, mais les éviter et/ou en atténuer les effets néfastes est une autre.

 

Les moments de crises et de rupture sont propices pour envisager un nouveau départ, une nouvelle orientation ; larguer le dysfonctionnel, embrasser du nouveau, faute de quoi l’on s’enfonce davantage. D’aucuns stipulent que toute « crise » est une fenêtre d’opportunités permettant proactivement de réformer, refonder, rénover, régénérer, innover. Est-ce une opportunité de relance, un nouveau départ pour tourner  la page de l’histoire des conflits violents récurrents et du narratif de pauvreté endémique en Afrique ? Est-ce possible de  saisir l’occasion pour  poser les jalons d’un repositionnement plus valorisant de l’Afrique sur l’échiquier international ? Est-ce possible que  l’Afrique se relance autrement et construise des systèmes africains innovants et plus résilients dans les domaines de  développement, de sécurité et de paix, etc. ?

 

Le développement durable repose actuellement sur une architecture mondiale constituée de multiples agendas imbriqués : « Agenda 2030 », « Agenda de localisation », « Agenda pour l’humanité », « Agenda mondial pour le climat », « Agenda 2063 de l’Union Africaine », etc. Comment l’Afrique s’approprie-t-elle ( ou mieux encore impulse)  ces Agendas globaux de manière créative, innovante, adaptée à ses propres dynamiques et réalités ? D’ici 2030, le temps presse ! Le retard dans la réalisation « localisée » des objectifs de développement durable est plus que flagrant ;  pour certains, COVID 19 est au banc des accusés ! Mais en définitive à cette époque particulière d’interconnectivité, ce serait illusoire d’envisager un monde sans crise. Plutôt ne faudrait-il pas apprendre à identifier de manière précoce les facteurs « crisogènes » et de les traiter à temps tout en construisant des systèmes inclusifs et résilients qui s’adaptent et s’ajustent aux chocs? Aurions-nous oublier que  les crises et les chocs ( internes ou externes)  font partie intégrante des processus de paix et de développement durables ?

 

Quoiqu’il advienne, en Afrique, les défis et enjeux complexes de l’ère « post-covidienne » seront relevés par des individus, des entreprises , des organisations, des institutions  et des  gouvernements qui d’une part, s’approprieront en pratique la pensée et l’action « inclusive et systémique« , car tout est lié, tout est connecté. Cette interconnectivité au cœur de la philosophie africaine UBUNTU (« Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous[1]») offre des potentiels de solidarité et des synergies à universaliser, au moins dans le cadre du Triple Nexus Humanitaire-Développement-Paix: « tout est lié ». Plus question de vivre en îlots. Ce qui se passe au Mali, au Burkina Faso, en Centrafrique, en Afghanistan, en Ukraine,….nous touche tous, qu’on le veuille ou non.

 

D’autre part, il nous faut faire preuve de créativité et d’innovation, compétences majeures pour trouver des solutions inédites, durables et résilientes . L’heure a donc sonné, il est temps de penser autrement, d’agir autrement, de vivre autrement, et de vivre ensemble autrement ! Il est grand temps de sortir des sentiers battus, de nos zones de confort !!!!!

 

RUSINE Alexis

L’auteur de cet article  est sociologue de formation  et  expert  en Coopération internationale et aide humanitaire ( formé à  KALU INSTITUTE, https://kaluinstitute.org/ ) . Il s’est spécialisé en  planification, suivi et évaluation, accompagnement-conseil des projets et programmes dans le domaine du Triple Nexus Humanitaire-Développement-Paix. Il combine cette expertise avec un centre d’intérêt porté particulièrement sur les techniques et approches de créativité et innovation. Depuis 2014, il travaille dans le contexte fragile et de crise prolongée de la République Centrafricaine dans le domaine de construction de la paix (Peacebuilding).  

[1] UBUNTU, https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophie)#Concept