MUTATIONS ET IMPLICATIONS GEOSECURITAIRES DES CONFLITS LIES A LA TRANSHUMANCE EN CENTRAFRIQUE.
Par RUSINE Alexis
Bangui, Juillet 2016
INTRODUCTION
Au lendemain de la crise militaro politique de 2013 qui a laissé l’Etat Centrafricain exsangue, l’agenda post transitionnel est synonyme d’éventail de défis. Plusieurs processus de relèvement portent la marque « urgence » : sécurité, restauration de l’autorité de l’Etat, désarmement-démobilisation-réinsertion-rapatriement, réforme du système de sécurité, vérité, justice et réconciliation, relèvement économique, développement des infrastructures de base, retour des réfugiés et déplacés, prise en charge psychologique des victimes, redynamisation des secteurs de l’éducation et de la santé,… pour ne citer que quelques secteurs. Le champ des responsabilités est vaste, l’inadéquation des ressources aux défis flagrante. Par ailleurs, l’héritage de l’instabilité chronique des cinq dernières décennies brouille encore les enjeux socio politiques et géopolitiques.
Si avec la crise de 2013, les conflits liés à la transhumance en milieu rural centrafricain semblent relégués aux oubliettes, force est de constater qu’ils sont devenus plus complexes et plus violents. Cet article jette un regard sur ce phénomène dont les soubresauts devraient retenir l’attention de divers acteurs tant nationaux qu’internationaux. Notre propos est d’esquisser la nature et enjeux majeurs de la nouvelle dynamique des conflits liés à la transhumance en RCA. A la fin, nous proposons certaines pistes de transformation non violente de ce type de conflit dont la portée dépasse le cadre national.
1. DES CONFLITS AUX SOURCES LOINTAINES
Les conflits liés à la transhumance sont courants en Afrique. En RCA, ils préexistent à la récente crise de 2013. Surgissant entre agriculteurs et éleveurs, ils gravitaient jadis autour des enjeux d’accès, de gestion et de contrôle des ressources naturelles essentielles aux activités agropastorales: eau, espace agricole, espace de pâturage et couloir de transhumance.
Dans une interview accordée à RJDH en février 2016, Issa By Amadou, administrateur de la Fédération Nationale des Eleveurs Centrafricains (FNEC) indique que le problème ne date pas d’aujourd’hui[1]. Quant au représentant des éleveurs de KABO, il parle d’une dualité entre cultivateurs et éleveurs ; un « sempiternel problème » en RCA. Il signale en passant que la crise a désorganisé les comités mixtes qui avaient l’habitude de se réunir pour anticiper et atténuer ces conflits[2]. L’étude réalisée par ACCORD abonde dans le même sens :
« Il ne se passe jamais une saison sèche sans qu’éleveurs et agriculteurs s’affrontent. Les derniers accusent les premiers de détruire leurs champs avec leurs troupeaux de bœufs. En 2012, ces conflits ont causé le déplacement de quelques 4000 centrafricains, la destruction de nombreux villages et d’importantes pertes en vies humaines dans l’Ouham »[3].
Déjà en 2003, l’étude de Ghislain GOTHARD relevait certains cas d’attaques collectives des campements d’éleveurs:
En 2003, peu avant le 15 mars, un habitant de la ville Paoua a été attaqué par des hommes en armés qui lui ont cassé le bras. Révolté, un groupe de villageois armés de fusils de fabrication artisanale a envahi un campement d’éleveurs proche de leur village pour venger leur parent. A l’aide de leurs fusils, ils ont abattu des boeufs et emporté les carcasses, dispersé le reste du bétail et passé à tabac les éleveurs qui ont pris fuite avec leurs familles. De plus, ils ont emporté tous les biens des éleveurs : matelas, nattes, ustensiles de cuisine, etc. Le maire informé de la situation est intervenu auprès de la population, ce qui a permis la restitution d’une partie des biens aux propriétaires. Mais comme le pays traversait une période de troubles, les coupables de ces actes n’ont pas été arrêtés. Ces types d’attaques collectives au dire des éleveurs…… font penser à un effet d’entraînement des populations locales dû à la multiplication du phénomène des coupeurs de route et à l’impunité[4]« .
Plus loin encore, la même étude fait remonter certaines manifestations des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans les années 80. Mention est faite par exemple de la pratique de tueries de bétail:
« Les paysans locaux prennent des armes de fabrication locale, se cachent dans les zones de pâturages et abattent les bœufs qu’ils dépècent sur place. La viande ainsi obtenue est destinée à la consommation personnelle, ou acheminée soit chez les bouchers locaux, soit chez les femmes commerçantes `wali gara’ pour être écoulée. Cette pratique serait apparue vers la fin des années 1980. Auparavant, il s’agissait des cas de tueries isolés perpétrés par des chasseurs ou des paysans des villages avoisinants. Aujourd’hui le phénomène s’est accru considérablement et semble être le fait parfois de réseaux bien organisés dans lesquels on retrouve d’un coté le braconnier qui abat le bétail, de l’autre les commerçantes et les bouchers qui collectent ou recèlent les produits et parfois fournissent les munitions pour tuer le bétail[5]«
Ce bref survol rétrospectif dénote amplement que le phénomène des conflits liés à la transhumance n’est pas récent en RCA. Il n’est pas non plus spécifique au Centrafrique; il s’agit d’une problématique sous régionale.
2. DIVERSES MANIFESTATIONS DES CONFLITS LIES A LA TRANSHUMANCE
Dans le passé, les conflits liés à la transhumance en Centrafrique avait pour enjeu majeur l’accès, le contrôle et la gestion des espaces et ressources naturelles vitaux pour les activités des agriculteurs et éleveurs. Les confrontations qui peuvent naître de ces acteurs ont généralement pour objet les faits suivants:
- Destruction accidentelle/involontaire ou délibérée des champs: Les destructions de cultures sont à l’origine de nombreux contentieux entre agriculteurs et éleveurs. Il s’agit des dégâts occasionnés par le bétail des éleveurs autochtones ou transhumants.
- Dégâts provoqués à travers des champs pièges: Les champs pièges, sont des champs installés par les agriculteurs dans les zones affectées aux activités d’élevage. Pour justifier leurs actes, certains agriculteurs évoquent la baisse de fertilité des sols dans les zones agricoles et la recherche de terres fertiles, d’autres parlent du manque de terres à cause du temps de jachère et le développement de la culture attelée. La présence des champs dans des zones à intérêt pastoral constitue un handicap pour le mouvement des troupeaux dans la mesure où ces champs finissent par être détruits par le bétail. L’installation des champs proches des couloirs de passage, des campements, etc. est perçu comme une stratégie de rente de la part des agriculteurs autochtones, soit une stratégie foncière pour chasser les éleveurs de certains terroirs villageois.
- Tueries du bétail Il s’agit de certains paysans locaux qui prennent des armes de fabrication locale, se cachent dans les zones de pâturages et abattent les bœufs qu’ils dépècent sur place. La viande ainsi obtenue est destinée à la consommation personnelle, ou acheminée soit chez les bouchers locaux, soit chez les femmes commerçantes `wali gara’ pour être écoulée.
- Vol du bétail: Avant la crise, les éleveurs et les agriculteurs ont présenté le vol de bétail comme le fait surtout des `fils d’éleveurs’, donc pas vraiment un type de conflit qui oppose éleveurs et agriculteurs.
- Attaques collectives de campement d’éleveurs: Dans ces attaques collectives, il y aurait participation d’hommes et de femmes. Les hommes agressent les éleveurs et tuent les animaux, tandis que les femmes viennent avec des bassines pour récupérer la viande dépecée et la ramener au village. Il semblerait aussi que certains chefs de village sont complices des malfaiteurs, mettant ainsi en cause tout instrument de sanction et de contrôle.
L’étude réalisée par FAO, DRC, et CRS[6] distingue cinq types de conflits en se basant sur le critère des acteurs impliqués:
- les agriculteurs/éleveurs,
- les éleveurs autochtones/éleveurs transhumants,
- les éleveurs/agents des eaux et forêts,
- les éleveurs/agents des forces de défense et de sécurité et autres agents de l’Etat, et
- les Etats voisins.
Les informations recueillies sur terrains indiquent que les conflits agriculteurs-éleveurs sont de loin les plus nombreux[7]. Comme signalé plus haut, ces types de conflits ont pour origine les dégâts aux cultures, les vols et tueries de bétail, les vols ou destructions de récoltes, l’absence ou le non-respect du zonage établi par l’administration par les uns et les autres, le non-respect des couloirs de transhumance, l’empoisonnement de points d’eau, les champs pièges et les problèmes fonciers. Ces conflits, qui se manifestent généralement par des disputes entre protagonistes dans le cas des dégâts aux cultures, peuvent donner lieu à des bagarres, voire à des affrontements intercommunautaires, avec des incendies de villages ou de campements, des déplacements de populations et des morts d’hommes.
3. NOUVELLE DYNAMIQUE
Si auparavant les conflits liés à la transhumance portaient essentiellement sur les enjeux de nature économique, la crise militaro politique de 2013 a en changé la donne. Le conflit s’est métamorphosé et complexifié suite à une triple intrication. D’une part, le conflit a connu un enchevêtrement avec les activités de revendication militaro politique des groupes armées Antibalaka et Ex-Seleka. D’autre part, l’instrumentalisation politique de la religion pendant la crise a apporté un ingrédient d’ordre identitaire au conflit. Enfin, force est de constater qu’avec la crise en RCA, la transhumance comporte subrepticement des enjeux géo sécuritaires sans précédent.
3.1 INTRICATION AVEC LES ACTIVITES DES ANTIBALAKA ET EX SELEKA
La dynamique de la récente crise centrafricaine a anéanti la capacité de l’Etat à assurer ses responsabilités d’assurer la sécurité et la protection des biens et des personnes. Jusqu’à l’heure, les groupes armés non conventionnels Antibalaka et ex-Seleka font autorité dans certaines zones, a fortiori dans le monde rural. L’expert Roland Marchal évoque cette situation en termes de « système de cogestion du pouvoir entre Bangui et les milices rebelles[8]« .
Par conséquent, dans certaines conditions, délibérément ou sous contrainte, les populations civiles agriculteurs ou éleveurs se sont retrouvés dans l’obligation de prêter soutien ou allégeance à l’une ou l’autre groupe armé pour s’assurer de sa sécurité et défense. Tel dédoublement des acteurs et juxtaposition des enjeux intensifie la spirale de la violence comme illustré dans cette section du rapport de FAO publié en Février 2016 :
« Les éleveurs du Nord ont l’habitude (la contrainte) de descendre plus au Sud pendant la saison sèche (de novembre à avril) avec leurs animaux. Cette descente est compromise maintenant par l’insécurité qui sévit dans les zones où l’eau et les pâturages sont les plus abondants: Bouca, Bossangoa, Mala, Sibut, Damara, Ndoukou, Grimari, etc. Ceci est dû aux activités des groupes armés membres du mouvement Anti Balaka.
Faute de disposer de plus d’espace de pâturages, ces derniers se concentrent autour des villes comme Kabo, Batangafo, Kaga Bandoro et Mbrés sous contrôle des ex-Séléka. Cette concentration du bétail conduit à un surpâturage, mais aussi à la destruction systématique des champs où certains éleveurs armés font paître expressément leurs animaux. Cette situation entraîne des tensions dans les localités concernées, telles que des attaques et des incendies de villages provoquant la fuite des populations des Mbrés vers Kaga Bandoro.
En outre, les animaux dénutris sont des proies faciles pour des voleurs de bétail qui, avec très peu de moyens et d’efforts parviennent à les abattre. En représailles, les éleveurs appuyés par certains groupes armés affiliés de près ou de loin aux ex- Séléka attaquent des civils, parfois par mesure de prévention dans leur périmètre d’activité[9]. »
Par truchement d’alliances supposées ou effectives, la crise a exacerbé les tensions violentes entre agriculteurs et éleveurs[10]. Depuis mars 2013, les relations entre éleveurs Peuls autochtones et les autres communautés se sont progressivement détériorées et connaissent des moments d’affrontement plus violents que dans le passé:
« Même à Bambari où l’ancrage Peul semblait solide, la situation est encore pire qu’ailleurs. Il est reproché à ces populations leur complicité avec les ex-Séléka. Il convient de souligner que les attaques contre les populations villageoises dans l’Ouest (Amada Gaza et Ngaoundaye), au Nord (Batangafo, Kabo) et au Centre-Est (Bambari), accompagnées d’incendies de cas et d’assassinats, ont contribué à l’exacerbation de la haine et à l’escalade de la violence[11]. »
Cette perception de complicité est encore évoquée par International Crisis Group dans son briefing « La face cachée du conflit centrafricain » :
« Dès le début de la progression de l’ex-Seleka vers l’ouest centrafricain en 2013, les anti-balaka ont prêté aux éleveurs une complicité avec leurs ennemis selekistes. La présence dans les rangs de l’ex-Seleka de jeunes Peul, paupérisés et souvent déconnectés des structures traditionnelles, pour certains ayant un passé de miliciens ou de « coupeurs de route », a suscité des amalgames et provoqué un cycle de représailles sanglantes[12].
Actuellement, les conflits de transhumance sont directement enchevêtrés aux affrontements Antibala-Ex Seleka. Dans un contexte général de fragilité de l’Etat, le clivage conflictuel s’est métamorphosé sous la trame d’alliances protectrices volontaires ou forcées par les événements. On peut parler du phénomène sociologique connu sous le terme « superposition des groupes d’intérêt ». D’une part, une alliance Agriculteur et les Antibalaka. D’autre part les Eleveurs et les Ex Seleka. Cette construction d’alliances non seulement polarise et cristallise les perceptions manichéennes, mais aussi accroit le potentiel violent des conflits liés à la transhumance. Dans ce monde rural sous tension et précarité, chaque moindre incident représente un potentiel explosif dont les manifestations et effets s’amplifient et se répandent aisément sur l’étendu du territoire national grâce aux propagandes facilitées par les nouvelles technologies de l’information.
3.2 EFFETS DE L’INSTRUMENTALISATION DE LA RELIGION
A ce double clivage s’est greffait une autre couche, cette fois-ci corollaire de la stratégie d’instrumentalisation politique de la religion qui au début a caractérisé la crise :
» La dénonciation de comportements individuels de jeunes Peul s’est rapidement transformée en imputation collective et finalement en stigmatisation de la communauté peul dans son ensemble. Cette perception populaire a été facilitée par le fait que les Peuls soient musulmans et par l’accumulation de ressentiments entre éleveurs et cultivateurs dans les zones rurales ces dernières années[13]. »
Evitée et déconstruite par l’action des Leaders religieux centrafricains, il n’en demeure pas moins que les séquelles d’une telle instrumentalisation prescrivent encore des perceptions et comportements chez certaines personnes dont les traumatismes psychologiques sont loin d’être cicatrisés. Avec la crise de 2013, un clivage identitaire de nature religieuse, à son tour, s’est subtilement imbriquée aux conflits liés à la transhumance en Centrafrique. Dans l’immédiat et sur le court terme, il s’avère urgent d’entamer un travail de dissociation-déconstruction qui consisterait à neutraliser les trajectoires identitaires (religion) et politique que les conflits de transhumance ont hérité de la crise militaro politique.
3.3 ENCHEVETREMENTS GEOSECURITAIRES
Selon Robert Manton, la complexité accrue du climat international en matière de sécurité a donné naissance à la conviction que la sécurité collective est aujourd’hui plus que jamais la manière la plus efficace de répondre à la variété de menaces existant[14]. En effet, les menaces actuelles ne connaissent pas de frontières, elles sont liées entre elles, et elles nécessitent une action aux niveaux tant mondial, et régionale que national.
La nouvelle configuration des couloirs de transhumance, montre bel et bien qu’il y’a circulation et échanges entre RCA, Cameroun, Tchad et Nord Soudan, Sud Soudan et la RDC.
Cette transhumance s’inscrit dans un contexte géo sécuritaire sous régional comportant des menaces réelles : le spectre Boko Haram à l’extrême Nord du Cameroun et Sud du Tchad, l’instabilité militaro politique au Sud Soudan, les LRA au Sud Est de la RCA. Il s’ensuit que la circulation des personnes et des armes dans des couloirs de transhumance et autres zones qui sont sous faible contrôle gouvernemental induit une fragilité géo-sécuritaire plus qu’inquiétante.
4. CONSEQUENCES
Telle conjoncture ci-haut décrite pose des conséquences sur le plan de la protection des populations civiles. Agriculteurs et éleveurs des milieux ruraux centrafricains vivent sous diverses menaces (directes ou indirectes) et dans certaines situations en sont victimes. Parmi les menaces directes nous citons par exemples:
- les attaques violentes contre les individus: tueries, bastonnades, incendies, etc.
- Déplacement forcé
- Viols
Les menaces indirectes sont entre autre:
- Pertes de moyens de subsistances
- Famine et insécurité alimentaire
- Maladie, malnutrition des enfants
Le rapport datant de mars 2015 de la COMMISSION MOUVEMENT DE POPULATION du Cluster PROTECTION en RCA illustre ces conséquences liées à la transhumance:
« S’agissant de la Préfecture de l’OUHAM il est mentionné que les causes des mouvements forcés de population dans cette préfecture sont du fait de la présence d’hommes en armes (Ex-Seleka et Anti-Balaka), des conflits liés à la transhumance et de l’insécurité en général. En effet, selon le même rapport, l’axe Kabo-Batangafo-Bouca reste un point de tension critique dans le pays, du fait de la présence d’un grand nombre de déplacés avec une forte présence de Peuhls armés pour protéger leurs troupeaux. Ces derniers causent des déplacements et empêchent un retour effectif dans la zone.
Sur l’axe Batangafo-Bouca, la présence massive de groupes d’Anti-Balaka, qui volent parfois le bétail des éleveurs, est à l’origine des réactions violentes des éleveurs contre les populations civiles dans les villages de la zone. Cette situation est la cause de plusieurs mouvements de population sur cet axe. C’est notamment le cas des Personnes Déplacées Internes (PDIs) sur les sites de Bozankon et Boya 1 qui ont dû quitter ces deux sites suite aux actes violents de représailles des éleveurs transhumants en réaction aux vols de leurs vaches par les Anti- Balaka de la zone. Cette situation a causé des mouvements secondaires qui rendent complexe la réponse humanitaire.
La zone nord de la préfecture d’Ouham – l’axe Batangafo-Kabo-Moyen Sido – est sous le contrôle des éléments ex-Seleka et une forte présence de Peuhls avec leurs troupeaux est observée. Plusieurs cas de protection ont été rapportés dans la zone de Moyen-Sido concernant les populations qui font des mouvements transfrontaliers pour des raisons économiques ou familiales. La présence de transhumants en armes accompagnés de leurs troupeaux est source de fortes tensions dans la zone. Les champs des populations locales ont été particulièrement occupés par les troupeaux, surtout dans les environs de Kabo, de telle manière que les propriétaires n’y ont plus accès. Par conséquent, les risques de déplacement de population sont importants du fait de possibles incidents avec les transhumants. Des cas de violences sur les populations (exécutions, violences basées sur le genre, pillages et menaces) ont été rapportées également[15]. »
Les conflits liés à la transhumance ont actuellement des effets néfastes sur le plan social. Mais ils impactent négativement sur la reprise des activités agropastorales, le relèvement économique, la sécurité alimentaire et la nutrition en RCA. Les deux groupes d’agriculteurs et éleveurs sont actuellement phagocytés dans un engrenage de la violence, de paupérisation, de violation des droits humains et de la dignité humaine. En définitive, ce sont ces paysans qui continuent de payer la lourde tribu de la crise militaro politique de 2013.
5.SUGGESTIONS POUR UNE TRANSFORMATION NON VIOLENTE DES CONFLITS DE TRANSHUMANCE EN RCA.
Les faits et analyses ci haut mentionnés sont loin d’être un diagnostic achevé, a fortiori dans un contexte aussi mouvant et volatile. Toutefois dans une perspective de contribution à la phase post transitionnelle de reconstruction en RCA, on peut en dégager certaines pistes d’actions qui contribueraient à ce que le peuple centrafricain en tire un triple avantage : la relance du secteur agropastoral, la réconciliation particulièrement en milieu rural centrafricain et la promotion de la sécurité.
On ne le dira jamais assez, la restauration de l’autorité de l’Etat en milieu rural Centrafricain particulièrement dans les zones de couloirs de transhumance est une priorité. A défaut d’un appareil administratif, judiciaire et sécuritaire de l’Etat efficace et équitable, les actions entreprises seraient limitées tant dans leur effectivité que durabilité.
5.2 PROMOTION DE NOUVELLES LOIS ET POLITIQUES
A la lumière des nouveaux enjeux et réalités de la transhumance en Centrafrique, les lois et politiques existants devraient être révisés et actualisées. Au vu de la complexité du phénomène, le passage vers une approche plus intégrative et à plusieurs parties prenantes s’avère crucial (« Multistakeholders and comprehensive approach« ).
5.3 MISE EN PLACE D’UN OBSERVATOIRE NATIONAL DE LA TRANSHUMANCE
La transhumance en RCA recouvre plusieurs enjeux entrelacés : économiques, psychosociaux, sécuritaires, politiques, culturels, etc. Par conséquent, elle nécessite d’être abordée de manière holistique, et non partielle, intégrée, et non dispersée. Un Observatoire National de la Transhumance serait une réponse appropriée comme outil centralisé et décentralisé de recherche interdisciplinaire plus poussée, de monitoring et de consultations multidimensionnelles sur ce phénomène. Il regrouperait diverses parties prenantes en provenance de plusieurs secteurs : agropastoral, sécurité, affaires sociales et réconciliations, etc. La dimension régionale de la transhumance impose une coopération sous régionale dès le départ.
5.4 SUSCITER ET APPUYER DES INITIATIVES INTERCOMMUNAUTAIRES D’INTERET COMMUN.
A l’heure actuelle, les agriculteurs et éleveurs Centrafricains sont pris dans l’engrenage de la crise. La détérioration de leurs relations induit une perception polarisée sur les torts subis. Les anciennes formes d’échanges et de solidarité entre eux se sont effritées; un mur invisible de peur et de méfiance s’est installé.
Initier un nouveau rapprochement authentique nécessite des initiatives conjointes symbole de la solidarité réitérée et retrouvée. Il est important donc que hommes, jeunes et femmes en provenance des deux communautés identifient et mettent en œuvre ensemble des initiatives à micro échelle. Ces initiatives socio économiques de solidarité constituent un puissant levier d’intégration et réconciliation sociale.
Ces agriculteurs et éleveurs travailleraient ainsi ensemble pour trouver des intérêts communs à promouvoir et à protéger, mais aussi feraient expérience de réapprentissage social de la redécouverte de l’autre; il s’agit d’un processus pratique de déconstruction des préjugés. Ces pratiques de solidarité auraient également l’utilité de faire renaitre le respect et la confiance mutuelle fondement de la guérison du lien social fracturé. De surcroit, ces initiatives de solidarité enclenchent un processus solidaire de résilience et relèvement en milieu rural centrafricain.
5.5 REDYNAMISER LES MÉCANISMES TRADITIONNELS ET COMMUNAUTAIRES DE RÉSOLUTION DES CONFLITS LIÉS À LA TRANSHUMANCE.
Bien avant la crise, les agriculteurs et éleveurs avaient recouru à des dispositifs communautaires pour régler certains différends et cohabiter en contenant les violences massives qui pouvaient surgir. Ce dispositif a été détruit par la crise. Il doit être reconstruit et rénové compte tenu des nouvelles dynamiques associées aux conflits de transhumance et des orientations de la Réconciliation Nationale. Telle action devrait essentielle avoir la dimension de renforcement des capacités des communautés. Elle vise à réactiver la résilience psychosociale des communautés et les rendre encore et plus aptes à donner eux-mêmes des réponses adéquates sous formes mécanismes endogènes de médiation communautaire.
5.6 TRAVAILLER ENSEMBLE POUR LA GUERISON PSYCHOSOCIALE
Après un passé douloureux de violences que les membres des communautés des agriculteurs et éleveurs ont subies, il y a bien de processus psycho sociaux à mettre en route: guérison des traumatismes psychologiques, changement des perceptions des uns vis-à-vis des autres, déconstruction des préjugés, dépassement des sentiments de haine et de vengeance, désarmement des cœurs, etc.
In facto, pour « batir un avenir partagé à partir d’un passé divisé » de transformation personnelle est inéluctable pour entamer au moins les premiers pas balbutiants de rapprochement intercommunautaire et de réconciliation. Après une fracture sociale plus ou moins profonde, c’est le prix à payer pour la recréation du lien social sur base d’un « capital confiance » minimal. Cela permettrait de poser les premiers jalons d’une cohabitation pacifique, non par parce que l’on s’aime, mais parce qu’au moins on se respecte comme être humain ( Zo kwe Zo ) et qu’on ne veut pas périr ensemble comme des idiots dixit Martin Luther King. Les programmes : « Guérison de trauma et réconciliation » sont à cet effet indispensable en milieu rural Centrafricain.
5.7 PROMOUVOIR LA SECURITE COMMUNAUTAIRE
Les programmes d’éducation et sensibilisation à la sécurité communautaire sont également indispensable pour que les populations adoptent des comportement et attitudes de responsabilité quant à la sécurité. La sécurité est un bien commun. A défaut de la sécurité sur un territoire donné, les habitants en paient collectivement le prix. Et….. , chacun a son rôle à jouer pour que la sécurité règne dans sa communauté dans l’intérêt de tous.
CONCLUSION
Les conflits liés à la transhumance en Centrafrique ont connu une nouvelle dynamique suite à la crise militaro politique de 2013. Ils se sont complexifiés sur fond de nouveaux enjeux politiques et identitaires. La gestion et transformation non violente de ces conflits exige une approche interdisciplinaire impliquant divers acteurs appréhendant la transhumance comme un phénomène multidimensionnel, communautaire, national et régional.
RUSINE Alexis,
L’auteur est sociologue de formation et expert en Coopération internationale et aide humanitaire ( formé par KALU INSTITUTE, https://kaluinstitute.org/ ) . Il s’est spécialisé en planification, suivi et évaluation, accompagnement-conseil des projets et programmes dans le domaine du Triple Nexus Humanitaire-Développement-Paix. Il combine cette expertise avec un centre d’intérêt porté particulièrement sur les techniques et approches de créativité et innovation. Depuis 2014, il travaille dans le contexte fragile et de crise prolongée de la République Centrafricaine.
REFERENCES
[1] RJDH, Centrafrique: Les éleveurs peulhs éprouvent des difficultés suite au conflit militaro-politique https://afriquenewsinfo.net/2016/02/01/centrafriqueles-eleveurs-peulhs-eprouvent-des-difficultes-suite-au-conflit-militaro-politique/ consulté le 2 juillet 2016.
[2] http://centrafrique-presse.over-blog.com/2016/02/la-tension-monte-entre-cultivateurs-et-eleveurs-centrafricains.html consulté le 2 juillet 2016
[3] ACCORD, Des sociétés prises au piège: Conflits et enjeux régionaux. Tchad, République Centrafricaine, Soudan, Soudan du Sud, p.49
[4] GOTHARD Alain Guy Ghislain, La gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la commune de Navaka en République Centrafricaine, Bangui, 2012. Mémoire en ligne, http://www.memoireonline.com/02/12/5365/m_La-gestion-des-conflits-entre-agriculteurs-et-eleveurs-dans-la-commune-de-Navaka-en-Republique-Cen0.html, consulté le 25 juin 2016.
[5] GOTHARD Alain Guy Ghislain, idem.
[6] [6] FAO et alii, Situation de la transhumance et étude socio anthropologique des populations pastorales après la crise de 2013-2014 en République Centrafricaine, p. 19
[7] FAO et alii, idem,p.19
[8] Source : http://www.la-croix.com/France/Pourquoi-France-desengage-elle-Centrafrique-2016-07-14-1200775810
[9] FAO, Enquête sur la transhumance après la crise de 2013-2014 en République centrafricaine, p.21
[10] ICG, Centrafrique : Les racines de la violence, Rapport Afrique N°230, Septembre 2015, p.20
[11] FAO et alii, idem, p.20
[12] ICG, La face cachée du conflit centrafricain, Briefing Afrique N°105, Nairobi/Bruxelles, Décembre 2014 p.3
[13] International Crisis Group. La face cachée du conflit centrafricain, Briefing Afrique N°105, Nairobi/Bruxelles, Décembre 2014 p.3.
[14] Robert Manton : Peace Operations Training Institute. Protection des civils, 2014, p.50.
[15] Cluster Protection, Commission mouvement de population, Mars 2015 http://data.unhcr.org/car/download.php?id=481.